1984

Ce fut la dernière année que nous passions à notre campement payant des houches. Ce n'est que nous y soyons mal, mais notre esprit et notre appétit de liberté y était restreint. Après des arrivées très étales pendant la saison, nous sommes partis avec Denis Grison et Jacques Coquet pour la Sentinelle Rouge. C'est toujours un ravissement et un frisson extrême de découvrir l'envers du Mont Blanc. Cette face raide et sauvage, en apparence, est très accessible grâce au refuge bivouac Giglionne, sur l'arrête du tour, ou Kufner qui monte au mont Maudit. Les nuits y sont relativement plus longues que dans d'autres refuges, sans doute parce que l'engagement a forgé les esprits. La neige ne gèle pas avant une heure du matin. aussi il n'est pas nécessaire de se lever et de partir trop tôt. Il suffit d'attendre patiemment que le temps vous repose. Laissez partir les excités. Un petit déjeuner au chaud en silence vaut tous les départs. De toute façon le risque est faible, le refuge bivouac de Giglionne surplombe le glacier de la brenva et celui de la combe maudite de 150m. Une erreur est ainsi vite rattrappée.

C'est ainsi que nous sommes arrivés sur le col Moore avec une confortable avance. Non que nous soyons plus rapide, mais que notre patience fut récompensée par des conditions glaciaires parfaites qui nous ont permis de descendre sur le glacier de la Brenva, puis de le traverser rapidement et en toute sécurité, tout en laissant sur place nos camarades, se débattant dans leur premières fatigues accumulées par les rappels et la progression de nuit dans la neige molle.

Le col Moore permet d'accéder à un petit cirque en terrain mixte qui donne accès à l'éperon de la Brenva, au pied de la Sentinelle Rouge, et bien sûr aux premiers pas vers la Major, la Poire, le col de Peuterey,... enfin un vaste théâtre de voies accessibles dont la difficulté se relativise avec l'accessibilité du refuge Giglionne. Première station d'attente pour Jacques.





Après avoir passer le col Moore, nous débarquons au milieu du cirque vers ce grand couloir qui dégouline du Mont Blanc. Pourtant après un court moment de rassérénation nous décidons de sortir de cet entonnoir. Non qu'il ne soit facile à gravir, car bien glacé, mais il collecte toutes les objets, séracs, rochers qui tombent de la calotte du Mont Blanc et de la barre rocheuse de la Sentinelle Rouge.

Quelques pas vers la rive droite, nous voilà au pied d'un autre cirque plus vaste, que nous remontons vers la gauche afin de passer la barre rocheuse supérieure. C'est la partie la plus longue, mais la neige est bonne et la progression est rapide et en toute sécurité.
Aller encore quelques efforts et nous serons à proximité du bonheur.

Voilà les séracs de la calote du Mont Blanc sont passés. Un coup d’œil sur la sortie de la Major, bien tourmentée cette année.
Stratégie gagnante, nous sortons assez tard mais nous sommes la seule cordée à sortir.

Vite le temps menace. Il tournera rapidement au grésil et alors que nous descendons du Mont Blanc du Tacul, la trace à déjà disparue. Un moment d'angoisse je ne vois plus personne, j'entends des voix, Ouf elles sont vraies. Nous avons perdu Jacques. Nous saurons plus tard, qu'il avait choisit de s'arrêter et d'attendre que l'orage passe pour voire clair. Il nous rejoindra quelques heures plus tard à l'aiguille du midi.



Pas de chance avec la pélliculle, elle a du s'abîmer, les dernières ont une teinte verdâtre.

Quelques jours plus tard nous partons avec Denis à l'éperon Frendo qui monte vers l'aiguille du midi. Départ première benne, nous remontons le glacier, l'itinéraire est simple, tant mieux pour moi qui n'a malheureusement aucun sens de l'itinéraire sur le rocher. Nous abordons le pied de l'éperon, changement de chaussures et nous voilà partis. L'éperon ne présente pas de difficultés particulière et nous avançons corde tendue. la partie rocheuse est vite parcourue. Nous trouvons une petite plate forme qui nous permet de remettre nos grosses et les crampons pour l'arrête neigeuse terminale.
Nous évitons le rognon sommital par la gauche. Comme attendu, la glace est devenue vive à proximité du rognon rocheux la prudence est de mise.
Nous débouchons sur l'arrête de neige Midi Plan. Nous retrouvons le monde à l'aiguille du midi, même si nous ne l'avons pas vraiment quitté. L'éperon nord se déploie sous le téléphérique, ce n'est pas le grand dépaysement.

(c) 1984 Texte, Photos Pierre Léonard